dimanche 17 juin 2018

Des orques sur la banquise

Comment créer rapidement un ou plusieurs personnages rapidement ? Et surtout, pourquoi se donner la peine lorsqu'il s'agit de personnages dont le seul rôle est de se faire massacrer par le héros au chapitre suivant ?
En ce qui me concerne, créer de nouveaux personnages et leur donner rapidement une "personnalité" (même très caricaturales lorsqu'il s'agit de personnages secondaires) n'a jamais été un problème. Créer des personnages "par lot" est même à la limite plus facile que de créer un seul personnage avec une personnalité complexe.
L'exemple qui suit est un groupe d'orques ("hurk" dans leur propre langue, mais les norrois les appellent également "skraelings") qui traquent mes héros et doivent servir de chair à vorpale dans le prochain chapitre. Le problème est que d'une part il y a déjà eu un combat contre des skraelings "anonymes" et je n'ai pas envie de faire une répétition et d'autre part qu'il me semble nécessaire de montrer le "point de vue" des skraelings pour donner plus de cohérence au récit.
Cerise sur le gâteau, la création de ce groupe m'a sorti d'une "panne d'inspiration" qui me paralysait depuis une semaine.
Si le texte vous donne envie d'en savoir plus, il sera en annexe de "La Dame Ecarlate" (version Roman) qui devrait sortir en 2020. 
 


Guzog courrait depuis maintenant trois heures sur la plaine verglacée. Un traîneau skraeling le suivant à bonne distance, s’arrêtant quand il s’arrêtait et repartant quand il repartait. Les quatre autre guerriers hurks qui y étaient confortablement installés n’attendaient qu’un signe de sa part pour que l’un d’eux prenne sa place.

Ah les noms, sacré problème... j'ai utilisé ici un générateur aléatoire "personnel" pour générer une série de noms orques. Ensuite, j'ai attribué à chaque nom un "rôle" dans l'équipe en fonction de sa sonorité.

Guzog (nom classique et passe partout, "orque de base" et premier personnage décrit — Holor (sonorité dure: le chef de la bande) — Snarzog (un nom à coucher dehors, donc un sale caractère. Du point de vue de Guzog) — Puldik (rien de particulier, simple figurant) — Gothrum (autre sonorité dure, mais qui vous arrache un peu la gorge et ne convient pas trop à un leader: le costaud de la bande).

Il avait largement dépassé sa période de garde, mais il ne voulait pas laisser à un autre la gloire d’être celui qui a vu un géant des glaces en premier. Et surtout pas cet idiot de Snarzog qu’il détestait copieusement.
Tous les mille pas, Guzog s’arrêtait et prenait une minute pour scruter les alentours et renifler les odeurs. Les hommes des glaces étaient dans leur territoire, ils connaissaient le terrain et laissaient peu d’indices. Mais Guzog n’était pas un novice. C’était la troisième fois qu’il participait à campagne de chasse aux hommes des glaces dans la région, cela faisait de lui un vétéran.
Il s’arrêta pour la centième ou deux-centième fois — il avait perdu le compte — et huma l’air ambiant en comptant les secondes dans sa tête.
Il était épuisé, mais il devait repartir après avoir compté jusqu’à cent. S’il restait trop longtemps, le chef Holor lui ordonnerait de prendre une pause, il devait tenir encore un peu, même s’il n’en pouvait plus.
— C’est mon tour, hurxar Holor ! Grogna la créature. Son temps est largement dépassé.
Dans le curieux patois qui servait de langue aux hurks, « hurxar » signifiait « chef », parce que « xar » voulait dire roi dans la langue d’un peuple que les hurks avaient longuement combattus. Le mot « skraeling » n’était utilisé que par les hommes des glaces et les norrois.
Toute ressemblance avec le "Xar" utilisé par les Patryns dans "Les Portes de la Mort"  de M. Weiss et T. Hickman ne peut être qu'une coïncidence.
— S’il a envie de continuer, qu’il continue, répondit le chef Holor en haussant les épaules. Tant qu’il ne nous ralentit pas, il a le droit de courir, et ce sera pareil pour toi.
— Mais ça fait plus d’une minute insista la créature.
Holor échangea un regard avec le guerrier qui tenait les rênes du traîneau. C’était un personnage massif dont les canines inférieures sortaient de la gueule.
— T’en penses quoi, Gothrum ?
— J’aime pas penser.
— J’ai compté cent-vingt, intervint le quatrième guerrier… mais c’est pas la peine d’en faire une histoire, il vient d’envoyer le signal.
En effet, le trait de lumière qui émanait du bouclier de l’éclaireur mit fin au débat. Guzog se mit à courir vers le traineau.
— Bien vu Puldik ! fit Holor en guise de conclusion. Tu prendras la suite de Snarzog quand il sera fatigué. Ça devrait aller plus vite que pour Guzog.
Il accompagna cette dernière réflexion d’un gloussement moqueur auquel Snarzog répondit par un court grognement.
Ils furent interrompus par l’arrivée de Guzog et son exclamation triomphale.
— Grimpatulik ! Je les ai vu !
Grimpatulik: sans doute dérivée d'une malédiction en "langage sombre", ce mot est d'une telle grossièreté qu'il me semble inconvenant de le traduire.
— Ne jure pas comme un porcher, protesta Holor. Qu’est ce que tu as vu ?
— Un traîneau d’hommes des glaces, un grand ! Il est passé il y a plus ou moins trois heures, et il se dirige vers le sud. Ils ne se sont même pas donné la peine de masquer les traces.
— Alors c’est sûrement un piège, grogna Snarzog. Il y a deux ans, le démon violet a abusé nos chasseurs avec des fausses pistes, et c’est comme ça qu’il a entraîné Bazeg dans une embuscade,
— Le démon violet ? Interrogea Holor.
— C’est un petit géant des glaces qui nous a posé des problèmes lors des précédentes expéditions. Il est sournois et dangereux… mais les traces que j’ai vu sont celles d’un grand traîneau, tiré par des syamoks alors que le démon violet a un petit traîneau avec des huskies.
Pour info (donnée dans les autres chapitres), les "hommes des glaces" sont tous des géants, la plupart on une peu couleur bleu-vif. Les métissés avec des humains ont une peau bleue beaucoup plus claire. Le "démon violet" est un métis dont le père est noir, ce qui est très rare dans la région (et même dans cet univers).
— Il a des pouvoirs magiques, ajouta Snarzog en crachant par terre. Il peut changer de forme à volonté. N’oublie pas que c’est un démon.
— Kirikul ! Siffla Guzog. C’est juste un chasseur très malin qui s’est mis de la peinture sur le corps pour se rendre effrayant.
Traduction Kirikul: "C'est de la poudre de perlimpimpin !"
— Un simple chasseur n’aurait pas pu décimer Bazeg et sa troupe.
— Bazeg était un fameux guerrier, intervint Gothrum. J’étais dans sa troupe lorsqu’il pillait les caravanes du Kytar. Un jour, en pleine bataille, je l’ai vu sauter au dessus d’un mur de bouclier norrois et attaquer tout seul les guerriers qui se tenaient derrière. Grâce à lui, on a fait sauter le mur et on les a massacré sans subir de pertes… Il en a tué six à lui seul.
— Oui, un grand guerrier, ajouta Guzog. Sa troupe a été décimée parce qu’il s’est laissé guider par un imbécile doublé d’un lâche.
— Retire ça tout de suite, cloporte ! Hurla Snarzog en empoignant son cimeterre.
— Vos gueules ! Aboya Holor. Vous allez fermer vos gueules sinon c’est moi qui m’en charge, et ce sera définitif !
Les deux guerriers rangèrent leurs armes en échangeant des regards de haine.
— Ecoutez-moi, reprit Holor d’un ton plus calme, écoutez-moi bien ! Il y a au bout de cette piste un traîneau d’hommes des glaces, chargé de fourrures, de viande et de cornes, mais il y a aussi des hommes des glaces et vous ne voulez pas qu’ils nous entendent, pas vrai ? Alors écoutez bien ce que je vais vous dire, tous les deux… un traîneau d’hommes des glaces, c’est trois ou quatre individus pas plus, peut-être une famille. Et dans une famille, il y a presque toujours un jeune, vous voyez ce que je veux dire ? Un jeune homme des glaces — ou mieux encore, une jeune fille des glaces —, ça vaut des milliers de pièces d’or sur le marché aux esclaves. Assez d’or pour que chacun d’entre nous puisse s’offrir une armure en véritable acier, des cuirasses sur lesquelles rebondissent les flèches, même avec des pointes en métal… et je n’ai pas envie de rater une occasion pareille à cause de vos chamailleries. Alors on va suivre cette piste, on va surprendre les hommes des glaces au bivouac, on va capturer les plus jeune, tuer les autres et le premier d’entre vous qui la ramène, je lui fends le crâne. Nous sommes tous d’accord ? Alors en route.
Ils reprirent la route, dans un silence presque mystique. Snarzog avait remplacé Guzog et précédait d’un bonne centaine de mètres le traîneau des hurks que Gothrum le costaud et Holor le chef guidaientt à l’avant tandis que Guzog boudait à l’arrière. Entre les deux, Puldik aiguisait consciencieusement son cimeterre, en essayant de ne pas faire trop de bruit pour ne pas importuner son chef.
— S’ils sont aussi chargés que Guzog le prétend, murmura Gothrum, ils ne devraient pas tarder à s’arrêter. On a de bonnes chances de les surprendre alors qu’ils seront épuisés, et leur attelage aussi. Et pour ce qui est du butin, herk herk…
— Pourquoi tu ricanes ? Demanda Holor.
— Parce que j’ai l’impression que même dans le meilleur des cas, on ne sera que quatre à le partager.
Fin du chapitre: on part de quasiment rien, juste quatre noms aléatoires et un "groupe de guerriers" à qui il faut attribuer des rôles et on termine avec une histoire supplémentaire et un petit suspense de plus: Qui de Guzog ou de Snarzog va tuer l'autre ?

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